25/03/2025 mrmondialisation.org  8min #272754

Typhons, cyclones, inondations : miroirs d'un océan en surchauffe

 Parue dans Nature Climate Change, une nouvelle étude révèle que les années 2023-2024 ont connu une augmentation sans précédent des jours de canicule marine, provoquant des phénomènes météorologiques extrêmes,  le blanchissement des coraux et l'effondrement des pêcheries. Malgré les avertissements des scientifiques, les interventions préventives ont été limitées. Les auteurs alertent sur de nécessaires « stratégies proactives" pour faire face « aux événements futurs inévitables ».

Les océans du globe ont connu trois fois et demi plus de jours de vague de chaleur l'année dernière et en 2023 que toute autre année jamais enregistrée,  selon une nouvelle étude parue dans la revue Nature Climate Change le 28 février 2025. Ce phénomène, qui se définit à l'instar des vagues de chaleur terrestres par une période de température supérieure à la normale sur une certaine période,  a de multiples conséquences sur les écosystèmes marins et les communautés côtières.

Des vagues de chaleur records

« La hausse soutenue des températures des océans a coûté des millions de vies marines et causé des milliards de dollars de dégâts dus aux tempêtes, a augmenté les risques d'échouage des baleines et des dauphins, a porté préjudice à la pêche commerciale et a déclenché un blanchissement mondial des coraux », détaillent les chercheurs, atterrés par les résultats de leur recherche.

En cause ? Le changement climatique d'origine humaine, amplifié par le phénomène El Niño et une couverture nuageuse importante, qui ont provoqué des températures de surface de la mer (SST) records en 2023 et 2024. « Le nombre de jours de SST élevée en 2023-2024 a augmenté de 240 % par rapport à toute autre année enregistrée », expliquent les auteurs du rapport. Au total, 8,8 % de la surface totale des océans ont affiché les températures les plus élevées jamais enregistrées sur la même période.

Des impacts environnementaux et humains considérables

Ces conditions jamais vues ont donné lieu à des événements dramatiques dans le monde entier. En 2023, en Nouvelle-Zélande, une vague de chaleur marine a alimenté le cyclone Gabrielle, tuant 11 personnes et causant plus de 8 milliards de dollars de dégâts. Les échouages de baleines et de dauphins sur les côtes du pays se sont également multipliés.

Une rue de Havelock North en Nouvelle-Zélande après le cyclone Gabrielle. Wikimedia.

Dans la région, les vagues de chaleur océaniques ont « radicalement transformé nos écosystèmes marins », estime Alex Sen Gupta, professeur associé à l'Université de Nouvelle-Galles du Sud (Australie),  auprès du média EnergyMix.

« La disparition définitive des forêts de varech sur des centaines de kilomètres de côtes d'Australie-Occidentale et l'état de dégradation extrême de la Grande Barrière de Corail, comparé à il y a quelques décennies seulement, en témoignent ».

En Amérique du Sud, les pics de températures océaniques ont éloigné les anchois péruviens de leurs eaux habituelles, entraînant la fermeture de nombreuses pêcheries en 2023 et 2024, avec des pertes estimées à 1,4 milliard de dollars. Les vagues de chaleur ont également provoqué des « morts massives de poissons » de plusieurs espèces.

 Sur le continent africain, près de 6 000 personnes sont mortes en Libye en 2023 lorsque les fortes pluies de la tempête Daniel ont provoqué l'effondrement du barrage de Derna, « l'inondation la plus meurtrière jamais enregistrée en Afrique »,  note la Scottish Association for Marine Science.

« La tempête Daniel a été rendue plus intense et pluvieuse par la hausse des températures de la mer due au changement climatique ».

En outre,  le typhon Doksuri a frappé la Chine, Taïwan, les Philippines et le Vietnam, affectant plus de deux millions de personnes et causant près de 200 décès. De même, le Japon a connu de graves inondations côtières dues à l'intensification des tempêtes. « Dans l'océan Indien, les vagues de chaleur marines ont probablement contribué à l'intensification des phénomènes cycloniques, augmentant le risque de déplacements et de pertes économiques dans les régions vulnérables »,  note The CarbonCopy,

L'Europe également touchée

En Europe, « les vagues de chaleur marines ont contribué à des températures terrestres record dans les îles britanniques, ont nui aux populations de poissons et ont failli provoquer l'extinction de la grande nacre en Méditerranée », détaille l'association de chercheurs. Au large de l'Espagne, les vagues de chaleur marines ont touché certaines sortes de coquillages, mettant à mal les moyens de subsistance des fermes qui les récoltent traditionnellement.

- Pour une information libre ! - Soutenir Mr Japanization sur Tipeee

Plus au Nord du continent, les populations d'oiseaux marins d'Écosse ont été affectées par le déclin de leurs sources de nourriture, tandis que l'aquaculture a subi des pertes dues à la prolifération d'algues nuisibles. « Les espèces d'eaux chaudes se sont déplacées vers le nord, autour des îles britanniques, entraînant une augmentation du tourisme d'observation de la faune sauvage. Le réchauffement des océans a alimenté la tempête Daniel, qui a provoqué des inondations meurtrières en Grèce, en Bulgarie et en Turquie », complètent les scientifiques.

Action ou réaction ?

Aussi extrêmes et violents soient-ils, la plupart de ces évènements ont pu être anticipés par les chercheurs, qui ont alerté à de nombreuses reprises les gouvernements. Certains États ont agi en conséquence, mettant en œuvre des plans d'intervention nationaux, tandis que d'autres ont manqué d'interventions coordonnées.

À titre d'exemples, en Australie, un quart de la population de poissons-mains rouges,  considéré comme l'espèce de poisson la plus rare au monde, a été placée dans des aquariums avant la vague de chaleur marine, puis relâchée lorsque les eaux se sont refroidies. Aux États-Unis, certains coraux et conques ont été déplacés vers des eaux plus profondes et plus fraîches afin d'éviter les effets mortifères des hausses de températures. Au Pérou, le gouvernement a versé des indemnités aux pêcheurs qui n'ont pas pu prendre la mer lorsqu'il a été contraint de suspendre la pêche à l'anchois.

« Si l'ampleur des vagues de chaleur marines est alarmante, certaines interventions préventives ont fait une réelle différence. L'Australie a connu un succès remarquable, où les prévisions de vagues de chaleur marines ont permis d'en réduire les impacts. Si davantage de régions avaient accès à ces prévisions et les mettaient en œuvre, nous pourrions mieux protéger la pêche, l'aquaculture et les communautés côtières contre des pertes dévastatrices »,  espère le Dr Alistair Hobday, directeur de recherche du programme Sustainable Marine Futures du CSIRO.

Malheureusement, certaines régions du monde ne disposent pas de moyens suffisants pour de tels dispositifs. Bien souvent,  les défis et urgences socio-économiques prennent le pas sur la préservation de l'environnement ou l'anticipation. C'est le cas notamment en Asie, où la réponse aux canicules a été largement réactive plutôt que proactive, note l'étude. À l'échelle globale, les chercheurs estiment que la réduction des dégâts était en grande partie insuffisante, probablement en raison de ressources limitées, de déconnexions entre les organisations et d'une mauvaise communication.

Une seule « solution permanente »

Dans une optique préventive, les auteurs de l'étude suggèrent différentes stratégies potentielles, comme une surveillance renforcée des températures de surface de la mer, la mise en œuvre de projets de conservation des coraux et des mesures d'adaptation telles que la relocalisation des espèces vulnérables.

Face à l'augmentation de la fréquence et de l'intensité des vagues de chaleur marines, les scientifiques insistent sur la nécessité de revoir en profondeur nos modes de vie et en particulier sur la réduction majeure d'émissions de gaz à effet de serre liée à la consommation d'énergies fossiles. « En attendant, la préparation aux vagues de chaleur marines et les interventions visant à limiter la disparition des espèces ont connu quelques succès, mais il ne s'agit pas de solutions permanentes », conclut le Dr Kathryn Smith  de l'Association de biologie marine du Royaume-Uni,  dans les colonnes du Guardian.

- Lou Aendekerk

Photo de couverture : Le typhon Doksuri a déclenché des pluies torrentielles et une suspension des transports dans le Fujian, dans le sud-est de la Chine. 2023. Wikimedia.

 mrmondialisation.org